La méditation, questions/réponses de F. Midal

Extraits des newsletters de Fabrice Midal, envoyées dans le cadre de l’Ecole Occidentale de Méditation

NEWSLETTER DECEMBRE 2011

Qu’est-ce au juste que la méditation ?

La voie de la pratique de la méditation est la découverte de la présence nue.
Si jamais vous avez vu un vrai tableau, vous avez été sans doute frappé par la présence qui s’en dégage. Vous êtes comme arrêté. Le tableau devient vivant. Si vous avez écouté un concert de musique, vous avez peut-être fait aussi cette expérience d’une présence ouverte et vivante. Ou encore lorsque vous êtes auprès de quelqu’un qui vous touche et que vous aimez. Vous êtes dans une certaine présence détendue et alerte en même temps. C’est cela la méditation. En ce sens, elle  n’est pas une gymnastique pour faire quelque chose, comme « le vide dans sa tête » mais elle consiste à apprivoiser cette présence ouverte sans laquelle aucun être humain ne peut exister pleinement. Non pas construire quelque chose, mais nous mettre en rapport à ce qui existe déjà, et que nous oublions sans cesse.

La méditation ne demande donc aucune compétence particulière. Tout être humain, en tant qu’il est humain, peut complètement comprendre et entrer dans la profondeur de la pratique de la méditation. En un sens tout être humain a fait l’expérience de cet état de présence où l’on cesse d’être préoccupé par soi-même.
Mais cependant, si d’un côté, la pratique de la méditation est toute simple et consiste simplement à s’ouvrir à soi et aux autres, elle est aussi la quintessence de toute spiritualité authentique. Pratiquer, c’est le chemin et l’ascèse qu’ont suivis tous les grands saints de tous les temps.

Il faut donc tenir ensemble ces deux facettes : méditer, c’est tout simple, cela n’a rien d’extraordinaire ou de mystique, et c’est pourtant le geste profond au cœur de toute voie spirituelle. Gardons ces deux aspects car chaque fois que l’on enlève une des ailes à cet oiseau, il ne peut plus voler !

Y a-t-il un moment idéal dans la journée pour pratiquer ?

Cela dépend de chacun. Personnellement je trouve que le meilleur moment est le matin quand on se réveille. On commence sa journée avec la méditation. Alors la journée est différente, tout semble plus clair. Il y a plus d’espace. De présence.

Qu’est-ce qu’une méditation réussie ?

C’est décisif de comprendre ce point : il n’y a pas de méditation réussie – ni ratée.

Alors ça ne sert à rien ?

Absolument. La méditation ne sert à rien. Ou si je voulais être plus technique philosophiquement, je devrais dire que la finalité de la méditation est une finalité sans aucune fin représentable.

C’est son seul intérêt. Alors vous ne pouvez ni la réussir ni la rater. Si on pouvait la réussir, jamais, pour ma part, je n’irais faire une chose pareille !
Il y a suffisamment de choses dans la vie qu’il faut à tout prix réussir, pour lesquelles il faut ajuster des moyens en vue de fins déterminées… Là vous avez le droit de vous poser, d’être.

C’est un geste de bienveillance radicale. Dans la méditation, on arrête de s’en vouloir ou de se sentir coupable. On arrête d’être pris par le jeu du bâton et de la carotte. C’est pourquoi la méditation est si précieuse. Elle désencombre. Elle n’est certainement pas un nouvel outil pour se torturer. Des fois on pratique, on a l’impression qu’il ne se passe rien. Des fois la session est géniale. On vit des expériences de joie et de détente profonde. Cela ne change rien.

Imaginer que la méditation sera réussie parce qu’on aura atteint un état de paix parfaite, est une impasse. Du coup, à la première contrariété de la vie, on sera fâché de perdre cette paix si difficilement atteinte.  On va ainsi renforcer le sentiment de lutte et de séparation. Quelle souffrance !

C’est uniquement en abandonnant l’idée d’utiliser la méditation qu’on lui permettra de transformer notre existence pour de bon. Et de nous faire découvrir un autre sens de présence et de confiance que celui qui dépendrait de la seule volonté. On découvre qu’il y autre chose au-delà de « moi-moi-moi et mes problèmes ».

A quoi est-on censé penser si la méditation ne consiste pas à faire le vide ?

Vous êtes présent. Votre corps est là, la respiration est là, le silence est là… Ce n’est pas vide mais plein, tellement vivant. Le philosophie Kierkegaard disait : « La vie et le monde tel que nous le connaissons sont gravement malades. Si j’étais médecin et que l’on me demandait mon avis sur les hommes, je répondrais : Du silence ! Prescrivez-leur du silence ! ». Il était visionnaire. Aujourd’hui l’idée de ne rien faire terrorise tout le monde. Cela cause de nombreux problèmes dans notre société. Les gens ont l’impression d’être vivants quand ils s’enivrent d’émotions fortes, par exemple en pratiquant des sports extrêmes ou en regardant des film d’horreur ou chez les jeunes en s’adonnant au binge drinking … Et puis ensuite, de tant d’émotions, chacun veut faire le vide, de la même manière qu’il éteindrait la télévision ou l’aspirateur — c’est-à-dire comme on débranche un appareil ou vide un dossier informatique. Mais notre être, n’est pas une machine !

Et en réalité, l’intensité peut être partout — dans la moindre sensation.  Dans une couleur, dans un moment de présence, en écoutant quelqu’un parler ou en vous allongeant sur un banc public et en posant votre tête sur les genoux de l’être aimé. L’intensité peut être liée au silence et à la présence.

Comment être sûr de ne pas se tromper dans la pratique ?

Ce qui se passe dans la méditation ne peut être mesuré. Le paradoxe de la pratique est qu’au début c’est un choc. Contre toute attente vous découvrez que votre esprit est agité, qu’il n’est pas du tout calme. Cela ne vous plaît pas du tout. S’y confronter est cependant salutaire. Méditer n’est pas être en état de paix, mais travailler avec ce que nous sommes. Parce que la vie est comme ça ! Des gens que vous aimez sont parfois malades, d’autres vous font de la peine, personne de toute façon n’obtient tout ce qu’il veut.  La méditation consiste à entrer en rapport à tout ce qui vient. Vous ne vous abritez pas ; vous vous désabritez.

Mais alors cette fameuse paix intérieure ?

La rechercher est un piège. Un égarement. Dès qu’on l’évoque, on ne va pas manquer de la fabriquer. Je connais plein de gens intoxiqués à la paix intérieure. Ils essaient de rester paisibles parce qu’ils ont peur des défis, de l’angoisse. Ils ont peur de la vie. Ils sont déprimés, tristes : alors ils respirent pour rester « zen ». Une émotion les submerge : vite un peu de « méditation » !

Quand vous regardez la vie des grands pratiquants de la tradition bouddhiste, mais aussi celle des saints, des artistes, de tous ceux qui sont en rapport à cette pleine présence, les défis qu’ils rencontrent ne sont pas amoindris par leur pratique, mais ils sont au contraire de plus en plus considérables. Ce n’est que dans la propagande spirituelle comme produit commercial qu’on parle de paix intérieure. Lisez Milarépa, le plus grand maître de la tradition tibétaine  ! Des monstres l’envahissent, des démons l’attaquent, il faut qu’il s’abandonne toujours plus avant… Sa vie est une véritable aventure.
Personnellement, par la pratique de la méditation, je n’ai pas trouvé la paix, mais je vis une aventure extraordinaire. Certains vont escalader l’Himalaya. Je ne pense pas que ce soit une aventure aussi palpitante que de pratiquer de la méditation. Vous allez traverser des paysages incroyables, rencontrer de grands défis. Vous allez entrer dans l’ampleur de la vie. C’est magnifique !

Je comprends bien cependant votre question. J’ai eu la même.
Il y a bien des années, j’ai écrit un livre avec un évêque, Monseigneur Dubost. Quand le travail fut achevé, nous avons dîné ensemble. Il m’a alors parlé des retraites spirituelles qu’il faisait chaque année dans un monastère où les moines vivaient retirés du monde dans une grande solitude. « Quelle chance, lui dis-je, ces moines qui peuvent se consacrer à la vie spirituelle doivent certainement découvrir la paix ». Et là, il m’a répondu : « mais pas du tout, ne vous trompez pas, ils vivent un combat profond». J’ai reçu une claque.
Tous les pratiquants qui sont entrés pour de bon dans le chemin le disent. Il faut cesser de rêver les yeux ouverts. La méditation est un combat sain et positif qui consiste à travailler avec la peur et l’angoisse. Pas à la fuir. Elle n’est pas une partie de plaisir, une façon de se détendre. Un produit concurrent aux productions Disney.
Bien sûr, aujourd’hui trop souvent la pratique n’est plus qu’une façon de se cacher, de fuir l’ardeur de la vie, l’ampleur de la souffrance. De ne pas assumer ses responsabilités. C’est tout à fait malheureux. Chögyam Trungpa disait, en ce sens, à ses étudiants : « vous parlez d’atteindre l’éveil, mais aucun d’entre vous ne supporterait la douleur de l’éveil, car alors vous seriez en rapport à la souffrance du monde entier sans aucune protection ». C’est cela. Lisez la vie de Milarépa, de Sainte Thérèse de Lisieux ou du peintre Rothko. La grandeur d’un être humain ne consiste pas à atteindre la paix intérieure, comme on gagne au loto, mais c’est une aventure humaine d’une intensité extraordinaire. La méditation tranche le brouillard, aussi bien celui de l’esprit que celui du cœur.

Je vais vous raconter une dernière histoire. Quand Marpa (le maître qui introduisit le bouddhisme indien au Tibet au XII siècle) perdit son fils dans un accident de cheval, il en fut profondément atteint. Les gens lui demandèrent alors « mais je croyais que la méditation donnait la paix intérieure ? (vous voyez c’est une vieille histoire !).
La mort de ton fils est une simple illusion. » Ou encore : « si tu souffres, c’est que tu es encore dans l’attachement ».
Marpa répondit alors : « la mort de mon fils est une super-illusion ».
Quelle magnifique réponse, si profondément humaine. J’ai toujours été très ému par cette phrase, que l’on trouve dans l’ouvrage de Chögyam Trungpa Pratique de la voie tibétaine. Roland Barthes l’a reprise en 4e de couverture de La chambre claire. C’est particulièrement émouvant car ce livre, vous le savez sans doute, est une méditation sur la mort de sa propre mère.
Quand la vie blesse, quand vous êtes submergé par une émotion, la voie ne consiste pas à vous réfugier dans un abri douillet de paix. A respirer pour ne plus être stressé. Elle consiste à ne plus avoir peur ! N’ayez plus peur de vos émotions et de la vie. Voilà la paix véritable ! Voilà la leçon de la méditation comme je la comprends. La méditation nous apprend à entrer dans une véritable confiance.

 

NEWSLETTER FEVRIER 2012

Quelle est la différence entre réfléchir et méditer?

Réfléchir implique de penser à quelque chose, tandis que méditer consiste à être ouvert à tout ce qui se passe, aux sensations, aux pensées et aux émotions qui nous traversent. Nous ne nous occupons pas du contenu des expériences que nous traversons, nous n’essayons pas d’en tirer une conclusion, de les analyser, mais simplement nous faisons attention à leur manière d’être.
Par cet exercice nous découvrons que nous sommes souvent peu attentifs à ce qui nous arrive, vivant comme en pilotage automatique — et donc peu en rapport à notre propre vie.
Privés d’un rapport réel et vivant à ce que nous vivons, nous prenons bien souvent trop au sérieux les pensées et les émotions qui nous traversent. Pourtant, ce n’est pas nécessairement parce que vous ressentez de la colère que la personne en face de vous exagère ! Méditer permet d’établir un lien plus sain et plus juste à ce que nous vivons, moment après moment, jour après jour.

A quoi est-on censé penser si la méditation ne consiste pas à faire le vide?

Soyez simplement présent à ce qui survient, peu importe ce qui survient. Votre corps est là, la respiration est là, le silence est là… Ce n’est pas vide mais plein, vivant. Le philosophe Kierkegaard disait : « La vie et le monde tels que nous les connaissons sont gravement malades. Si j’étais médecin et que l’on me demandait mon avis sur les hommes, je répondrais : Du silence ! Prescrivez-leur du silence ! » Kierkegaard était visionnaire. Aujourd’hui l’idée de ne rien faire terrorise notre société qui promeut l’agitation plus que l’action juste.
Cette situation cause de nombreux problèmes. Les gens ont l’impression d’être vivants seulement quand ils s’enivrent d’émotions fortes, par exemple en pratiquant des sports extrêmes, en regardant des films d’horreur ou chez les jeunes en s’adonnant au binge drinking…
Et puis on comprend que, d’avoir ressenti tant d’émotions fortes, chacun veut faire le vide, de la même manière qu’il éteindrait la télévision ou l’aspirateur — c’est-à-dire comme on débranche un appareil ou l’on vide un dossier informatique. Pour enfin trouver un peu de paix après tant d’émotions et de tensions. Mais notre être n’est pas une machine ! Nous n’avons pas à nous vider.
On veut faire le vide parce qu’on n’a pas réussi à établir un rapport réel aux choses. Et saturé de l’agitation habituelle, on veut se couper de tout au point même de s’abrutir. La méditation n’a rien à voir avec cette réaction. Ni fuir dans l’excitation, ni s’anéantir dans le vide — mais être pleinement, pleinement en rapport à tout ce qui est enfin.

Comment être sûr de ne pas se tromper dans la pratique?

D’abord, abandonnez l’idée que l’on puisse se tromper ou que l’on puisse réussir. Cela peut surprendre, mais la première expérience de la méditation est souvent déroutante pour ne pas dire inconfortable. Contre toute attente, vous découvrez que votre esprit est agité. Cela ne vous plaît pas du tout. S’y confronter est cependant salutaire. Méditer n’est pas être en état de paix, mais travailler avec ce que vous êtes. La vie est comme ça ! Des gens que vous aimez sont parfois malades, d’autres vous font de la peine. Personne de toute façon n’obtiendra tout ce qu’il veut. Il vaut donc mieux abandonner tout projet.

Si la méditation consistait à se tenir pendant des heures sur une seule main en récitant des formules complexes, à force d’efforts nousfinirions peut-être bien par y arriver. Mais la méditation consiste à simplement être assis, le dos droit, attentif à ce qui est, attentif au souffle qui entre et qui sort. Elle déjoue tous nos projets d’accomplissement personnel. Son génie est son extrême simplicité. Voilà pourquoi vous ne pouvez pas la rater — ni en réalité, la réussir.

Mais cependant cette simplicité ne s’appréhende que si l’on en reconnaît aussi la profondeur. Les ouvrages qui en détaillent la portée sont, dans la tradition bouddhique, d’une finesse d’analyse impressionnante. Nous aurons d’autant plus confiance dans notre pratique que nous comprendrons en détail son sens. N’hésitez pas à explorer les textes pour mieux comprendre les ressources de la méditation.

Pourriez-vous me dire pourquoi l’on associe la méditation au « lâcher-prise »?

Méditer ne consiste pas à apprendre de nouvelles stratégies ou informations mais à désapprendre ce qui nous entrave, ce qui filtre notre compréhension des choses, ce qui nous empêche de rencontrer ce qui est tel qu’il est. Nous apprenons ainsi à lâcher prise de la volonté de saisir ce que nous vivons  — en figeant nos émotions ou encore en nous identifiant à ce que nous pensons. Ainsi nous ratons un examen et nous en concluons « je suis nul », elle me regarde, « je suis aimable  — à chaque fois prisonniers de l’illusion que nous sommes le centre du monde.
Pour faire pleinement l’expérience de ce qui est, tel qu’il est, nous devons lâcher prise de cette crispation profonde. Telle est précisément la ressource de l’attention : observer simplement ce qui est pour le laisser être — et pour ce faire abandonner nos préventions, idées reçues et peurs. Cessons de chercher à tout contrôler, apprenons à danser avec la vie.

La grande erreur est que le plus souvent la notion de lâcher-prise est comprise comme une nouvelle stratégie volontariste — il faudrait réussir à lâcher prise — alors qu’elle est un dessaisissement fondamental et au premier chef de tout projet personnel.

Je vis la méditation durant mes longues marches solitaires où mon mental semble en dormance. Puis-je considérer que je médite?  

Certes tout être humain a fait d’une manière plus ou moins nette l’expérience d’un état de méditation, c’est-à-dire d’un état de présence, que ce soit en marchant dans la nature, en écoutant de la musique, en prenant sa douche, en mangeant un fruit mûr ou en étant auprès d’un être aimé.
Mais là n’est pas l’essentiel de cette démarche. Méditer est d’abord un travail ardu pour se confronter à ce qui entrave la présence et non pas seulement pour sa célébration. Certes, la méditation nous met en rapport à ce sens d’unité et de paix, mais elle le fait parce qu’elle nous apprend à travailler avec les ombres.
Comme l’explique Chögyam Trungpa : « La méditation ne consiste pas à essayer d’atteindre l’extase, la félicité spirituelle ou la tranquillité, ni à tenter de s’améliorer. Elle consiste simplement à créer un espace où il est possible de déployer et défaire nos jeux névrotiques, nos auto-illusions, nos peurs et nos espoirs cachés. Nous produisons cet espace par le simple recours à la discipline consistant à ne rien faire. »[1] <#_ftn1> Faute d’une confrontation réelle à nos propres manques, à nos propres peurs, nous n’entrons pas dans la profondeur de la présence.
En ce sens la méditation n’est pas un état mais une pratique. Et tout aussi important que le lever du soleil, un sourire bienveillant, l’éclosion d’une fleur dans la rosée est un moment de peur, une déception ou la pluie. Méditer, ce n’est pas vivre de beaux moments, mais entrer dans le vif de l’existence.

Pourquoi méditer est si difficile?

La méditation est simple, mais comme tout ce qui est simple, elle demande un grand investissement personnel. Il faut beaucoup de travail pour trouver la simplicité. Un chanteur, un ébéniste, un sportif de haut niveau diraient probablement la même chose.
Le simple se gagne en traversant ce qui l’obstrue.
La difficulté propre à la méditation tient à ce qu’elle nous confronte à tout ce qui restreint notre vie. Elle fait apparaître en pleine lumière le cadre étroit où nous nous sommes enfermés souvent sans même nous en rendre compte. Or nous préférerions que l’on nous réconforte, que l’on nous dise que tout ira bien, que nous allons obtenir tout ce que nous voulons et passer ainsi un bon moment. Or la méditation nous confronte à nos difficultés. Elle n’est en rien une sinécure.
C’est paradoxalement pourquoi elle est si précieuse. Habituellement, face à cette angoisse de fond, à cette incertitude, nous cherchons à nous enfuir au loin : partir en vacances, regarder la télévision, « communiquer » avec « les autres ». La méditation est une attitude réaliste. Elle nous invite à ne pas rêver les yeux ouverts, à ne plus fuir nos difficultés. A prendre notre vie en main telle qu’elle est maintenant.

Peut-on ressentir des effets de la méditation dès la première séance ou faut-il plusieurs mois ou années pour avoir un résultat?

Dès la première séance, il se passe quelque chose. L’expérience est différente pour chacun mais vous vous posez. Vous vous sentez respirer. Vous découvrez un sens de présence qui ne dépend d’aucune circonstance extérieure pour se manifester.
Vous savez, pour pratiquer comme il faut, il suffit de le faire tel que vous êtes. Si vous êtes en pleine forme ou déprimé, triste ou joyeux, plein de doutes ou de peurs, malade ou en bonne santé, amoureux ou le cœur brisé, alors vous êtes dans la situation idéale pour pratiquer. Méditer n’est pas réussir quelque chose, mais simplement s’ouvrir à ce que nous sommes, être attentif à ce qui est. Un des bienfaits immédiat de s’y exercer est de découvrir enfin un espace où tout peut se manifester tel qu’il est.

Si dans la perspective de la méditation il faut éviter de penser, est-ce parce que c’est un problème?

Penser n’est pas en soi un problème ! Il est même au contraire merveilleux que nous ayons cette faculté ! Mais penser dans le présent n’est pas penser de façon désincarnée et abstraitement. Il est tout à fait différent d’écouter quelqu’un quand il vous parle, que de ne pas l’écouter parce que vous pensez déjà à autre chose.
Nous en faisons l’expérience tout le temps. Nous sommes confrontés à tant de gens qui n’écoutent pas, parlent sans être véritablement en rapport à ce qu’ils vivent, prisonniers de leur bavardage mental incessant, de leurs attentes et de leurs obsessions.
J’ai ainsi reçu dernièrement un courriel d’une dame qui, après avoir écouté quelques minutes d’un long entretien que je donnais à la télévision, tenait à me faire part de sa réaction. Elle était tout à fait critique sur ce que j’avais soi-disant dit. Mais comme elle n’avait pas écouté mes propos, elle ne s’adressait nullement à moi. C’était un message bien étrange !
Ce que nous découvrons dans la pratique, c’est que souvent, loin de penser, nous ressassons un ensemble d’idées fixes. Et nous vivons comme s’il y avait en nous un pilote automatique. Vous allez prendre votre douche et vous vous retrouvez en bas dans la rue, sans avoir de conscience claire de ce qui s’est passé entre le moment où vous êtes entré dans la salle de bain et cet instant précis. Quelqu’un vous dit un mot et vous réagissez en surinterprétant ce qui a été dit en fonction de vos propres obsessions ou angoisses.
En ce sens, méditer c’est aussi apprendre à penser, c’est-à-dire apprendre à rendre à la pensée sa portée véritable. La désobstruer.

Puis-je me mettre à méditer alors que je suis dans un état de préoccupation ou d’énervement?

C’est même une situation parfaite ! On ne pratique pas la méditation parce que tout va bien, comme on peut aller au bord de la mer se faire dorer sur le sable. On médite pour travailler concrètement avec son énervement, sa peur, sa colère, son désespoir, sa jalousie.
Et même, plus précisément, nous apprenons à rester avec les émotions pénibles au lieu de les fuir la tête la première. Vous pouvez ainsi apprendre à éviter tout à fait que vos irritations se transforment en affirmations dogmatiques et définitives, « Je suis en colère à cause de ton comportement », que de vouloir à tout prix aplanir les difficultés en prétendant que tout va bien. La méditation nous montre comment ne pas fuir ou justifier ce qui survient.
Vous êtes énervé, la méditation vous permet de découvrir que ce n’est pas en le regrettant ou à l’inverse en montant sur vos grands chevaux que vous allez arranger la situation. Mais considérer ce qui se passe suffit à le transformer.

 

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Newsletter de novembre 2012

Ne plus avoir peur de nos émotions

Faire connaissance avec nos émotions

Nous sommes parfois tristes, parfois en colère, ou encore émus ou irrités par tout ce qui se passe. Cela ne nous plaît pas. Nous aimerions bien dominer nos émotions, en faire ce que nous voulons.

Il n’est pas possible de vivre pleinement avec une telle attitude fondée sur la peur des émotions. Essayons au contraire d’entrer en rapport avec elles. Notre état d’être est un peu comme la météo. Il change. Parfois il fait beau temps, parfois nous sommes envahis par des nuages sombres, parfois c’est la pluie. Quand nous pratiquons, nous en faisons plus directement l’épreuve. Il n’y a là rien d’inquiétant.

La méditation ne vise pas à nous apprendre

à nous défaire de nos émotions,

mais à leur témoigner une plus grande attention.

Quand nous sommes pris par une émotion intense, il ne s’agit nullement d’essayer, grâce à la pratique, de nous en débarrasser. Souvent, j’ai entendu expliquer que, si l’on était pris par une forte émotion, il fallait se recentrer sur la respiration pour qu’elle disparaisse. C’est une erreur. La méditation ne consiste en rien à refuser une expérience parce qu’elle ne nous plaît pas, mais à placer tout ce qui survient dans la lumière de l’attention.

Réprimer ce qui nous arrive n’est pas une bonne approche.

Observez la qualité de l’émotion, sa manière d’irradier

votre être tout entier, découvrez comment elle teinte

votre manière même de voir le monde, et vous découvrirez,

comment faire de vos émotions non des ennemies

qu’il faut craindre mais des amies qui vous parlent.

Il est devenu courant de dire qu’il nous faut apprendre à « gérer » nos émotions. Quelle manière peu amène de parler de soi ! Les émotions sont comme des mondes colorés, plein de vie et ayant chacune son rythme propre. Il nous faut apprendre à les écouter.

En méditant, nous allons découvrir que nos émotions sont beaucoup plus subtiles, vivantes et changeantes que nous le croyons généralement.

Les pensées et les émotions dans l’espace de l’attention: l’exemple de la colère

L’une des vertus de la méditation est de nous faire découvrir que nous nous identifions spontanément à nos pensées et émotions. Lorsque nous ressentons de la colère, nous sommes aussitôt convaincus que nous sommes en colère, et nous trouvons ainsi très vite des raisons de l’être. Mais pourquoi s’identifier ainsi à tout ce qui survient en nous ? Pourquoi ne pas penser que la colère vient nous visiter ? Pourquoi ne pas essayer de trouver un rapport plus sain avec elle ? Pourquoi ne pas lui dire bonjour sans pour autant lui donner raison ?

Dans la méditation, nous apprenons à reconnaître nos émotions mais sans être contrôlés par elles. Cela ne veut pas dire, comme on le croit parfois à tort, que nous ne vivons plus nos émotions, que nous en sommes entièrement détachés. Nous en sommes juste dés-attachés. Percevez-vous la différence ?

 

Les émotions ne sont plus alors vécues comme des attaques venant de l’extérieur, s’opposant à nous, comme lorsque nous nous sentons envahis par la colère ou la tristesse. En entrant dans l’épreuve de la méditation, nous vivons l’émotion comme un rayonnement singulier qu’il nous faut écouter. Si nous sommes tristes, nous sommes tristes. Inutile de le refuser. Nous pouvons ainsi entretenir un rapport plus sain avec l’émotion, un rapport moins conflictuel.

Si la colère vient, cela ne veut pas dire que nous avons raison d’être en colère. Nous pouvons la laisser être, sans forcément la justifier ou la cultiver. C’est du reste la meilleure manière de nous guérir de la colère !

En ce sens, dans la méditation

il ne s’agit ni d’accepter une émotion ni de la refuser

mais de faire entièrement connaissance avec elle.

Et c’est cette nouvelle voie qui est au cœur du chemin

ouvert par la méditation. C’est cette approche

qui va transformer profondément notre rapport à nous-mêmes.

En quoi la méditation n’est pas vouloir « faire le vide dans sa tête »

Comme nous l’avons vu, croire que la méditation consiste à « faire le vide dans sa tête » est l’une des erreurs les plus courantes – et l’une des plus naïves. Qu’est-ce que cela pourrait en effet bien signifier ?

On peut vider une pièce en retirant les meubles et objets qui s’y trouvent. Mais comment pourrait-on faire le vide dans notre tête ? En la vidant de toute pensée et de toute émotion ? Quel singulier projet !

Notre esprit n’est pas une maison ! Il est vivant. Les textes le comparent parfois à un océan qui peut être agité ou calme. Comment pourrions-nous enlever les vagues à l’Océan ? Ne sont-elles pas l’Océan ?

Vouloir se vider la tête est une idée aussi étrange

que de vouloir vider l’océan de ses vagues.

Un tel projet est en réalité aussi irréaliste que violent. Il ne peut de toute façon que nous décevoir puisque, lorsque nous commençons à pratiquer, nous sommes d’abord surpris de constater que nous ne pouvons pas du tout arriver à faire le vide ! Notre esprit vagabonde sans cesse.

Surtout n’en soyons pas découragés. En faire l’épreuve, voilà l’important. Ne nous engageons pas dans une gymnastique visant à nous permettre de dominer notre esprit, mais, tout au contraire, abandonnons le souci de tout contrôler. C’est ce souci qui nous opprime. La méditation ne vise donc nullement à vider l’esprit mais à l’apprivoiser. À ne plus lutter contre lui.

À cause de cette conception de la méditation, on a parfois fait du bouddhisme une tentative de repli sur soi ou une manière de se fermer au monde. Il suffit pourtant d’observer n’importe quel maître, comme le Dalaï-Lama, pour comprendre l’absurdité d’une telle thèse. Il est animé d’une joie, d’un souci des autres et d’un engagement qui éclatent à chaque instant. Nous asseoir sur un coussin ouvre notre cœur et notre esprit, nous rend plus vifs et alertes – nullement impassibles.

Autrement dit, avoir une entente de ce vide dont parle les traditions d’Orient ne signifie nullement être vide au sens que ce terme a chez nous, mais être pleinement ouvert, sans préjugés ou idées reçues.

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